Du silence
Je me rappelle le silence, celui qui monte doucement. Une vague qui prend à la gorge pour se poser en proprétaire sur les choses, s'étend, occupe la place, les coins sombres, voile la légerté de la lumière. Je me rappelle le cri de la maison glacée de mutisme, les dalles marbrées, mes pas de loup sur la poussière endormie. L'éclat béant de l'évier s'agrippait à mon regard quand je venais rincer un verre, une assiette, un pot de plastique qui m'avait servi de repas en ces jours sales de printemps ravagé. Dans ma tête, j'entassais les adjectifs, évitant soigneusement les verbes qui m'auraient obligé à sortir de cette torpeur en armure. Qualifier et s'immobiliser, rentrer dans le silence, devenir ce son hurlant de présence abolie, un peu comme le bourdonnement sourd qu'on entend juste après la sonnerie des cloches.
J'avais des silences de bourgeoise, ceux qui se cognent au velour des canapés et s'entassent sur les courbes des porcelaines. Mais il avait la violence de ce qui ne laisse pas le choix.
Je me rappelle de ça, je m'en souviens très bien. Je guettais le moindre bruit, l'intégrait aux fantasmes qui colonisaient ma tête. Cet oiseau était-il là hier, le camion poubelle avait du retard, non? la goutte au robinet devenait-elle plus rapide, peut-être faudrait-il faire venir un plombier, quelqu'un, peut-être faudrait-il sortir et le crier sur les toits, le long des allées et dans les jardins joliment apprêtés du voisinage, le bruit de cette goutte, anormal, ennivrant, obscène.
Et jamais rien ne se passait que les heures qui se moquaient de moi et des milles vies que je faisais survivre aux confins de mon imagination.