Ingeborg Bachmann et Paul Celan

Publié le par anaïs

Il y a des sorties de livre qui font rêver. La correspondance croisée d'Ingeborg Bachmann et de Paul Celan, pour moi, était de celles-là. Je ne vais pas m'étaler parce que je n'ai pas le temps (les personnes qui viennent ici de temps à autre l'auront compris: je suis débordée) et aussi parce que c'est beau, fort et un peu triste et comme souvent dans ces cas-là, cela parle tout seul. Une chose seulement non, deux: Bachmann et Celan n'ont pas cessé, une vie durant, de s'aimer, de se rater, de se trouver parfois, de se déchirer aussi, de s'écrire, de penser et de s'aider à le faire, mais surtout: de se parler. Elle fut la compagne de Max Frisch, il épousa Gisèle Lestrange. Mais le lien, indénouable, s'étale au fil des lettres, jusqu'au suicide de Celan.
L'autre chose: seule l'édition allemande est sortie pour l'instant. La lettre que je mets en ligne est donc une traduction personnelle. J'ai fait de mon mieux. Voilà, je m'efface maintenant.


Paul Celan à Ingeborg Bachmann:

Aujourd’hui. Le jour de la lettre.
De la destruction, Ingeborg? Non, sûrement pas. Mais plutôt: la vérité. Car dans ce cas-là aussi, c’est la notion contraire: parce que c’est la notion de base.

En omettant beaucoup de choses:
Je viendrai à Munich fin novembre, autour du 26.

Pour revenir à ce que j’ai omis:
Je ne sais pas ce que tout cela signifie, je ne sais pas non plus comment je dois le nommer; vocation peut-être, destin et mission, cela n’a pas de sens de chercher un nom, je sais, que c’est ainsi, pour toujours.
Il en va pour moi comme pour toi: que je puisse écrire et prononcer ton nom, sans me battre avec le frisson que je ressens à ce moment-là  - c’est pour moi, malgré tout, un bonheur.
Tu sais aussi ça: lorsque je t’ai rencontrée, tu étais pour moi les deux: le sensuel et l’intellectuel. Cela ne pourra jamais être séparé, Ingeborg.

Penses à „En Egypte“. Chaque fois que je le lis, je te vois entrer dans ce poème: tu es raison de vivre, aussi parce que tu es et que tu restes la justification de ma voix.

Un autre endroit, dans l’obscurité:
Attendre: ça aussi, je l’ai envisagé. Mais cela ne voudrait-il pas dire également attendre que la vie nous vienne en aide, d’une manière ou d’une autre?
La vie ne nous aidera pas, Ingeborg, pas nous; attendre une chose pareille serait probablement la manière la plus inappropriée d’être là.
Être là, oui, ça nous le pouvons et nous en avons le droit. Être là – l’un pour l’autre.
Et même si ce ne sont que quelques mots, alla breve, une lettre, une fois par mois: le coeur saura vivre.
(Mais quand même, une question concrète, à laquelle tu dois répondre très vite: Quand pars tu pour Tübingen, quand pour Düsseldorf? On m’y a aussi invité.)
Sais-tu que je peux maintenant à nouveau parler (et écrire)?
Oh, il faut que je te raconte encore beaucoup de choses, certaines choses aussi, dont même toi tu te doutes à peine.
Écris-moi.

Paul

Publié dans arts & more

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A
Cher Sir. je ne sais que répondre à cela. Nous partageons des mots et leurs sens.... c'est plus que la plupart des gens. Il y aurait d'autres choses à dire, mais pas ici. Pensées. A.Monsieur Pan: oui, j'essaie de poster de temps en temps pour ne pas laisser ce blog complètement à l'abandon. C'est bête le temps: quand n en a, il n'y a pas d'inspiration, et quand il manque, on a l'impression qu'on  pourrait écrire des pages et des pages...Je t'embrasse, A.
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P
oui, il y a des livres qui font rêver... Merci pour cet article.<br /> Content que tu sois revenue, malgré la débordation.<br /> Bisous :)
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S
Un roi en larmes, qui attend, écrit, vous écris, et vous regarde parce que sa voix ne prend son timbre que pour vous. Et... qui ne fera rien d'autre. Jusqu'à la fin.
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