Le creux du monde (1)
Elle avait une tendresse particulière pour les aubes. Tout en elles lui paraissait beau. Le mot d'abord, l'aube, qui lançait la langue depuis le palais vers la brève mais douce rencontre des lèvres; le son rond, caressant, si court qu'il aurait pu n'être qu'un souffle. Elle aimait dans l'instant lui-même la lumière d'abord pâle puis de plus en plus réelle, englobante, se posant en maître sur les choses et la nature. Elle se levait sans bruit et glissait d'une pièce à l'autre sans but précis, si ce n'est peut-être celui de prendre possession du monde qui s'éveille. Il y avait alors en elle une sorte de quiétude qui ne devait rien au calme (car elle était parfois nerveuse dès le petit jour), mais plutôt à un accord tacite passé avec le silence: il était trop tôt pour les paroles, et celles du jour précédent ne pouvaient jamais être ni reprises, ni remplacées.
Le jour était vierge et elle, elle s'efforçait de l'être le plus possible.
Cela paraissait relativement simple dans cette maison où elle était venue se reposer un mois d'août, alors que tout autour d'elle semblait conspirer pour devenir assourdissant.
On dit souvent d'un endroit qu'il est au bout du monde. Ici, c'était l'inverse qui était vrai. On avait l'impression d'être arrivé dans la creux de ce monde, à son point d'ancrage. Tout autour semblait avoir été repoussé vers des contrées plus habitées, plus tangibles, tandis que là, aux portes des Cévennes, la nature et le paysage se rassemblaient à la fois fournis et vastes, tenant à distance tout ce qui n'était pas fait d'espace et de lumière.