Un endroit pour être

Publié le par anaïs


Au milieu de la gare c’était un tourbillon de gens. Elle aimait s’asseoir là, juste au milieu de cette pulsation à laquelle elle n’appartenait pas complètement. Elle vacillait de trop d’espace. D’où était-elle ? De quel lieu, de quel air ? Il n’y avait qu’en mouvement qu’elle vivait vraiment, persuadée qu’un jour, elle arriverait là. Quelque part. Dans cet endroit pensé pour elle, avec un océan et du froid quand le vent se lève. Un pays avec du soleil et des falaises aussi, pour s’y perdre au crépuscule, les mains profondément plantées dans un anorak. Un endroit où les trains n’arrivaient que le soir, une gare terminus parce que depuis là il n’y avait que l’horizon. Un pays où les gens parlaient pour dire quelque chose, sinon ils se taisaient, ou alors ils dansaient et chantaient, parce que souvent les mélodies ça suffit pour dire. Ou juste un regard. Ou un geste qui s’échappe, si léger, si rapide qu’on pourrait l’avoir rêvé. Elle avait le mirage de ce lieu planté en elle, un espace presque vierge où l’on s’assoit sur les bancs en face-à-face pour rêver que les étoiles ont le pouvoir d’arrêter le cours du temps, lorsque le ciel est vraiment clair, vraiment dégagé.

Elle y voyait aussi une église qui se penserait cathédrale, majestueuse et lourde d’ombre, les pierres pleines de calme. Elle n’abriterait aucun dieu, juste des coins de silence où l’on pouvait penser très fort à ce qui nous tenait éveillé la nuit. La porte serait de bois et grincerait un peu quand on la pousse.

Il y aurait des alcools qui enivrent comme lorsqu’on tombe amoureux, des étendues d’herbe aussi douces que le sable, de la neige en hiver, un peu, juste le temps de faire des élevages de cannelle et d’orange et de boire des grogs le soir, en lisant à voix haute des poèmes.

Les printemps seraient capricieux et offriraient des après-midi de pluie à passer dans les salles sombres de cinéma, puis dans les cafés, à discuter et s’enrager et se chamailler le long des interprétations.

Aux murs des maisons, les fenêtres seraient immenses, avec des rideaux de velours pour bloquer le soleil estival quand il se ferait trop violent. En regardant bien, on verrait qu’ils étaient les témoins des imaginaires qui brûlent ; complices ils garderaient les meilleurs souvenirs enveloppés dans leurs ourlets. Mais il ne faudrait pas les interroger : gardiens du secret des corps, ils sauraient être muets et fidèles.

L’automne viendrait rappeler que tout passe, et l’on ferait de longues promenades sur les quais qui seraient aussi un peu des rails. Il y aurait le bruit des feuilles, celui des bateaux qui accostent et qui repartent, il y aurait le bruit du mouvement tout le temps, mais ce qui change ne ferait pas peur, ne ferait pas mal. Et l’on se parlerait des heures avec toutes ces choses qui ne sont pas des mots.

Publié dans fictions en miroir

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A
Cher Alain - Vous savez, en ce moment, je m'agrippe un peu à tout ce que je peux. Mais je ne suis pas persuadée que l'espoir soit en première position... Disons que c'est un été désabusé.... Mais les saisons changent et tournent, paraît-il.Jeanne, Bella: Le jour où j'arriverai à rire de mes peurs, je veux dire VRAIMENT, sans ce ton cynique et un peu rageur, ce jour là je pense que je n'aurai plus besoin de chercher. Et alors oui, on boira à la santé de tout ce qui nous aura sauvé (les mots, quelques personnes, la force du rêve et celle de la vérité...)L'adresse? De toute manière elle est différente pour tout le monde je crois, même si l'endroit est le même.... parce qu'on y arrive par des chemins différents.Je t'embrasse fort. A.
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J
et on rira aussi beaucoup de nos peurson boira aux toundras et aus igloosje t'embrasseone more timeau fait ne donne pas l'adresse ici hein ?c'est trop beauté belle  toi
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A
Une pierre dans l'immensité... mais c'est toujours ça oui. Je pense que nous sommes nombreux à partager cet imaginaire , mais peu savent l'exprimer comme vous le faites, et encore moins parviennent lui donner vie et consistance. Nombreux se perdent avant d'y parvenir (j'en fais partie). Les signes n'ont certainement pas perdu de leur forces, c'est notre capacité à les lire qui s'est dissoute avec le temps (du moins je parle pour moi)... Face à la vie implacable on fait souvent le choix de ce qui nous parait être la facilité en premier lieu... Mais le prix à payer pour ce semblant de confort est élevé.Si je peux me permettre de ce fait un conseil, cet espoir qui est encore votre, aggrippez le de toutes vos forces, et ne le lâchez jamais, même une simple seconde. Alain
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A
S'il a pu revivre, s'il est "perdu", c'est qu'il existe, quelque part. Peut-être que nous ne savons plus aller jusqu'au bout du chemin, ou que les signes ont perdu leur fonction indicatrice.Beaucoup de choses sont noires, au loin. Mais je crois que j'ai encore un tout petit peu d'espoir (?)Et puis, un endroit rêvé partagé par deux imaginaires, c'est presque comme poser une première vraie pierre, non?Merci pour vos mots,Anais
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A
Bonjour,Vous venez de décrire l'endroit que je recherche depuis fort longtemps, sans jamais l'avoir trouvé. Il a existé autrefois au fond de mon âme, mais, même là il s'est perdu dans le néant.Mais pour un temps, avec vos mots, vous avez pu lui redonner une consistance, et pour un temps, j'ai pu effleurer cet endroit par les images que j'ai mises en scène en vous lisant.MerciAlain
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